Effets de la propagande à l’égard de l’Eglise, par Jacques Ellul

28 lectures, par nicolas le 21 janvier 2008 · 4 commentaires

dans la rubrique Médias et désinformation

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NDLR: Extrait du livre « Propagandes », par Jacques ELLUL, Réédition ECONOMICA, 1990.

Il est un premier ordre d’effets sur lesquels nous pouvons passer rapidement, ce sont les effets produits par la propagande généralisée dans le monde moderne. Il est évident que les membres d’Eglises sont saisis comme les autres hommes dans les réseaux de propagande et réagissent à peu près comme tout le monde. Ils sont alors conduits à une dissociation à peu près complète entre leur christianisme et leur comportement. Le christianisme reste un spiritualisme et une affaire purement intérieure. Le comportement est dicté par des appartenances diverses, et surtout par la propagande. Bien entendu, il y a toujours eu un certain divorce entre l’«idéal» et l’«action». Mais actuellement, ce divorce a pris un aspect global, généralisé, systématique. Cette extension, et surtout cette systématisation, sont le fruit de la propagande dans le domaine politique ou économique, et, si l’on y rattache la publicité, dans le domaine privé.

Les chrétiens, parce qu’ils sont submergés par les propagandes, ne voient absolument pas ce qu’ils pourraient faire, qui soit efficace d’une part, et qui d’autre part soit l’expression de leur christianisme. Ils se bornent alors, avec des motivations différentes et souvent avec des scrupules, à adhérer à l’une ou l’autre des tendances qui leur sont présentées par les propagandes. Ils prennent, eux aussi, le panorama des propagandes pour la réalité vivante du politique, et dans ce panorama fictif ne voient pas où insérer le christianisme. Ils sont, dès lors, mystifiés comme les autres, et cette mystification enlève tout poids à leur croyance.

Et de même la propagande, par ses effets psychologiques, rend la propagation du christianisme de plus en plus difficile. Les structures psychologiques issues de la propagande sont peu propices au christianisme. Et sur le plan social, cela est tout aussi vrai. Car la propagande place l’Eglise devant ce dilemme: ou bien ne pas faire de propagande, mais alors pendant que nous gagnons péniblement, lentement, un homme au christianisme, les Moyens Modernes de Communication. émeuvent des foules, et l’on a dès lors l’impression d’être « hors du temps », sur les bords du courant de l’Histoire et sans pouvoir rien y changer.

Ou bien il faut faire de la propagande. Ce dilemme est certainement l’un des plus cruels devant lesquels sont placées maintenant les Eglises. Car il semble bien que les hommes maniés par la propagande deviennent progressivement imperméables à la réalité du spirituel, et accèdent de moins en moins facilement à l’autonomie d’une vie chrétienne.

Nous sommes en présence dune considérable mutation religieuse, le religieux étant, par le moyen du mythe, absorbé petit à petit par la propagande et devenant une de ses catégories.

Mais il faut alors se demander ce qu’il advient lorsque l’Eglise se plie à faire de la propagande.

Tout d’abord, une remarque. Nous avons déjà souligné le caractère global du phénomène de propagande. Les chrétiens ont souvent la prétention de séparer les moyens matériels et les techniques de propagandes, c’est-à-dire de dissocier le système. Par exemple, utiliser la presse ou la radio, mais sans appliquer les principes d’efficacité psychologique ou technique que ces moyens supposent. Ou encore, les utiliser sans faire appel aux réflexes conditionnés, au mythe, etc. Ou encore, les utiliser avec précautions et réticences, de temps à autre… La seule réponse que l’on puisse faire à cette timidité, c’est que ce sera une organisation parfaitement inefficace. Si l’Eglise veut employer la propagande pour être efficace comme les autres, alors elle est tenue d’employer tout le système, avec tous ses ressorts, elle ne peut choisir ce qui lui convient, car cette discrimination se borne à détruire l’efficacité en vue de laquelle l’Eglise acceptait la propagande. Celle-ci est un système total qu’il faut choisir en entier ou rejeter en entier.

Si l’Eglise l’accepte, cette décision entraîne deux conséquences importantes. Tout d’abord le christianisme ainsi diffusé n’est pas le christianisme. Nous avons vu en effet l’effet de la propagande sur les idéologies. En réalité, ce qui se produit aussitôt que l’Eglise agit par ce moyen, c’est une réduction du christianisme au rang de toutes les autres idéologies ou religions séculières 11

C’est visible dans tout le cours de l’Histoire. Chaque fois que l’Eglise a tenté d’agir par les propagandes acceptées à l’époque, on assiste à une baisse de vérité et d’authenticité du christianisme. Ainsi au IVe siècle, au IXe, au XVIIe, etc. (bien entendu, cela ne veut pas dire qu’il n’y avait plus de chrétiens).

A ces moments, le christianisme cesse d’être une puissance de bouleversement et une aventure spirituelle pour s’institutionnaliser dans toutes ses expressions et se compromettre dans toutes ses actions. Il sert d’idéologie sociologique à tout le monde avec la plus grande facilité, et tend à être une mystification. C’est alors que se multiplient les innombrables édulcorations, adaptations, qui dénaturent le christianisme en l’adaptant au milieu.

Ainsi ravalé à n’être plus qu’idéologie, il est d’ailleurs traité par le propagandiste comme telle. Et dans le monde moderne, nous pourrions redire de cette idéologie particulière ce que nous avons déjà dit des idéologies en général. Ce qui se produit alors, c’est qu’en effet l’Eglise a été capable de remuer des masses, elle a été capable de gagner à son idéologie des milliers d’hommes. Mais cette idéologie n’est plus le christianisme. Elle est une quelconque doctrine, conservant seulement (et encore, pas toujours) quelques principes et le vocabulaire chrétien.

Quant à l’autre conséquence, elle se produit à l’égard de l’Eglise elle-même. Lorsqu’elle utilise la propagande, l’Eglise réussit comme tous les autres organismes. Elle atteint les masses, influence les opinions collectives, oriente les mouvements sociologiques, et fait même entrer beaucoup de monde dans un christianisme apparent. Cela est encore possible aujourd’hui, même dans un monde déchristianisé. Mais ce faisant, l’Eglise devient une fausse Eglise. Elle acquiert une puissance et une influence qui sont typiquement du monde et elle s’intègre par là dans le monde.

Alors que la vie de l’Eglise, du point de vue chrétien, est une tension entre une organisation soumise aux déterminations sociologiques et une inspiration contraire, venant de Dieu et orientée vers Dieu, — à partir du moment où l’Eglise utilise la propagande réussit par ce moyen, elle devient, sans rémission, un ensemble purement sociologique. Elle élimine la part spirituelle, puisqu’elle transmet plus qu’un faux christianisme; elle se soumet dans l’essentiel de sa vie à la détermination sociologique; elle se subordonne aux lois de l’efficacité pour devenir une puissance dans ce monde, et, en fait, elle réussit: elle devient une puissance du monde. C’est qu’elle a choisi dès ce moment entre puissance et vérité.

Lorsque l’Eglise utilise les moyens de propagande, elle essaie toujours de se justifier de deux façons : on dit tout d’abord que l’on met ces moyens si efficaces au service de Jésus-Christ. Mais si l’on réfléchit une seconde, on s’aperçoit que cela ne veut rien dire. Ce qui est au service de Jésus-Christ, c’est tout ce qui peut recevoir son caractère et son efficacité de Jésus-Christ. Lorsqu’on se trouve présence de moyens qui possèdent en eux-mêmes toute leur efficacité, qui contiennent en eux-mêmes leurs présuppositions et leurs fins, ils ne peuvent pas être mis au service de Jésus-Christ, ils obéissent à leur loi et il n’y a pas de contenu ou de théologie qui puisse modifier quoi que ce soit, malgré ce que des raisonnements simplistes peuvent faire croire. En réalité, avec cette justification nous sommes en présence non d’une explication ou d’une éthique, mais d’une formule pieuse sans aucun contenu.

On essaie alors de s’en tirer en disant que l’on ne voit pas pourquoi il serait interdit à l’Eglise d’user de tel moyen de diffusion ou de puissance, à condition de ne pas mettre sa confiance dans ces moyens. Car on rappelle que, du point de vue biblique, c’est la confiance placée ailleurs qu’en Dieu qui est condamnée. Mais alors, il suffit de se demander: si vraiment on ne croit pas en ces moyens, si on n’y met pas sa confiance, pourquoi les utiliserait- on ? Si on les utilise, c’est parce qu’on a confiance en leur valeur et leur efficacité. Toute dénégation est une hypocrisie. Bien entendu, dans tous ces jugements, nous pensons à la propagande véritable, et non pas à tel usage limité de la Presse ou à une demi-heure de Radio par semaine pour diffuser une messe ou un culte.

A l’issue de cette rapide analyse, on peut donc dire que la propagande est un des facteurs les plus puissants de déchristianisation du monde : par la psychologie qu’elle modifie, par la marée idéologique dont elle a submergé la conscience des masses, par la réduction du christianisme au rang d’idéologie, par la tentation présentée sans cesse à l’Eglise, — c’est l’élaboration d’un univers mental étranger au christianisme. Et cette déchristianisation par l’effet d’un moyen, est bien plus large et plus efficace que toutes les doctrines antichrétiennes.

1 Sur l’hétéronomie décisive entre le christianisme la propagande, voir J. Ellul, «Christianisme et propagande », in Revue de l’Evangélisation, 1959


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1 alain 21 janvier 2008 à 13 h 56 min

A mon avis, un des moyens les plus efficaces d’annoncer l’évangile de nos jours est le témoignage direct et personnel. Quand on s’adresse à une seule personne en lui rendant témoignage, la personne vous écoute vraiment, alors qu’on orateur sur une tribune ne touchera pas cette personne.

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2 Paul Gosselin 21 janvier 2008 à 15 h 29 min

J’ai lu le texte d’Ellul et j’ai été quelque peu déçu, car il fait encore une autre diatribe contre les technologies (comme on le voit aussi dans son livre La parole humiliée). Bien ironique qu’on ait mis ça en ligne sur un site WEB. Encore de la technologie… Ellul ne serait pas d’accord. Mais, au fond, ça me semble un peu hypocrite de la part d’Ellul, car lui-même faisait appel à la technologie pour diffuser ses idées, cad la technologie du livre. Possible qu’il ait vu comme une exception, mais ça ne me semble pas très cohérent.

Les Écritures sont bien claires pour ce qui est de la source réelle des problèmes. Elle nous dit: "L’homme bon tire de bonnes choses du bon trésor de son cœur, et le méchant tire de mauvaises choses de son mauvais trésor; car c’est de l’abondance du cœur que la bouche parle." (Luc 6) ou encore "Ce n’est pas ce qui entre dans la bouche qui souille l’homme; mais ce qui sort de la bouche, c’est ce qui souille l’homme" (Mt 15:11). Le cœur qui est donc le problème et non pas les choses extérieures (qui font partie de la Création après tout).

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3 nicolas 21 janvier 2008 à 17 h 08 min

En fait, je crois qu’Ellul avait pré-vu l’incroyable superficialité de notre siècle qui dispose de moyens phénoménaux d’investigation, de communication, et qui, paradoxalement, se satisfait d’opinions toutes faites, pré-machées, pré-digérées et micro-ondables…

Je rappelle que c’est à Ellul qu’on doit la paternité de cette formule très à la mode chez les "altermondialiste" ou les croqueurs de pomme: "think global, act local"…

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4 Thamis 8 juillet 2010 à 16 h 19 min

J’ai lu quelques livres d’Ellul :
La technique ou l’enjeu du siécle.
Propagande.
Le bluff technologique.
Les nouveaux possédés.
Apocalypse, architecture en mouvement.
Anarchie et christiannisme.
La subversion du christianisme.
Ce que je crois.
Ce qu’il a analysé en son temp à bien été trés bien analysé et ses previsions se réalisent encore sous nos yeux.
Cet homme à été un prophéte, et comme nul n’est prophéte en son pays, c’est aux USA qu’il à été et est le plus lu, c’est bien dommage pour ceux en France qui ne connaissent pas son oeuvre car il a encore de l’avance dans ses previsions, l’extrait cité date quand même de 1962 et le christianisme vulgaire à la suite des USA est en pleine expansion chez nous (il y a beaucoup de professant mais peu de disciples, d’ou le succés de l’évangile à fleur).

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