William Perez, «frère d'âme» d'Ingrid Betancourt
La libération d'Ingrid Betancourt m'a beaucoup ému, j'avais prié pour elle comme beaucoup d'autres. J'appends qu'un frère en Christ a oeuvré pour sa survie d'une manière décisive, je me réjouis beaucoup de ce témoignage, c'est un encouragement à demeurer le meilleur témoin possible, en dépit des circonstances.
William Perez, «frère d'âme» d'Ingrid Betancourt De notre envoyé spécial à Bogota Thierry Oberlé [LE FIGARO international] 07/07/2008 | Mise à jour : 19:40 | Commentaires 35 .
Dans son goulag tropical, le caporal, infirmier de formation, ici en novembre 2007, soignait aussi bien ses camarades que les guérilleros blessés en opération. Crédits photo : AFP Il fut l'ange gardien d'Ingrid Betancourt. «Je suis vivante grâce à lui», assure la Franco-Colombienne qui l'appelle «mon frère, l'homme qui m'a sauvé». «Il m'a donné à manger cuillère par cuillère et m'a redonné envie de vivre», ajoute la camarade de détention du caporal William Perez, 33 ans. Infirmier de formation, le sous-officier a soigné avec des antidépresseurs et surtout par son soutien moral la profonde maladie de l'âme dont souffrait l'an dernier la captive.
En ce mois d'octobre, Ingrid Betancourt n'en peut plus de porter vingt-quatre heures sur vingt-quatre une chaîne autour du cou. Elle ne comprend pas pourquoi on l'attache chaque jour à un arbre. Déprimée, elle décide de renoncer à vivre. Son refus de s'alimenter provoque un ulcère et des infections intestinales. Peu à peu, elle se déshydrate. Son état de santé est lamentable. Ses geôliers s'en moquent. Ils attendent sa mort pour - préviennent-ils - creuser un trou dans la terre et l'enterrer.
«Elle disait vouloir mourir. Elle refusait ce que les Farc avaient fait d'elle», se rappelle l'infirmier. Il lui répond qu'elle «doit rester forte». William Perez entreprend de la nourrir bouchée par bouchée. Il l'assiste avec tendresse et patience. Il l'alimente comme on donne la becquée à une petite fille rétive ou malade en la brusquant un peu quand il faut. Une cuillerée est pour sa fille, Mélanie ; une cuillerée pour son fils, Lorenzo ; une cuillerée pour sa mère, Yolanda. Le soldat lui parle sans relâche de ses enfants et de sa mère pour la raccrocher à l'existence. Il lui demande de continuer à vivre pour ceux qui l'aiment. Il lui donne du courage. Et ça marche. Elle reprend du poids en quelques semaines, recommence à se tenir debout sans tomber pour aller aux toilettes ou pour se laver.
C'était deux mois avant la diffusion du fameux cliché de cette prisonnière chétive au regard vide devenue à travers le monde le symbole de la captivité. «Tout le monde a été scandalisé par la photo, mais à ce moment-là elle allait déjà beaucoup mieux», affirme aujourd'hui William Perez. «Sa force était la mienne et la sienne était la mienne», commente le protecteur au sourire modeste devant la presse le lendemain de sa libération. «J'étais devenu un peu son psy. Là-bas, personne ne vaut rien, même pas Ingrid», résume-t-il.
Rien ne prédisposait à une amitié entre le petit caporal engagé dans l'armée pour aider sa famille et la jeune femme frondeuse issue de la grande bourgeoisie de la capitale. À part peut-être la religion.
Pentecôtiste, William Perez organise en détention un groupe de prière, de chant de cantiques et de lecture de la Bible. Il prie dans un pays où la Vierge est adorée avec la même ferveur par les prêtres et les tueurs à gages, par les narcos et les flics, et par Ingrid Betancourt, une croyante réfugiée dans la grâce de Dieu depuis sa descente en enfer.
Pour le reste, les deux séquestrés ont peu de points en commun. Au début de leur présence dans le même camp, voici quatre ans, leurs relations sont à peine cordiales. L'an dernier, une réorganisation du bagne les rapproche. Les Farc décident de mélanger civils et militaires. Devenus voisins, ils écoutent la radio, commentent l'actualité. C'est l'époque où est évoquée l'hypothèse d'un «échange humanitaire». Betancourt, la politique, est convaincue qu'une négociation entre l'État et la guérilla est nécessaire pour sortir la Colombie de l'impasse et recouvrer la liberté. Perez, le soldat, est persuadé qu'il faut abattre le pouvoir militaire des Farc pour obliger les «barbudos» à négocier. Elle est tombée dans le piège des Farc en prêchant la paix. Il a été capturé en participant à la guerre.
Le destin de l'infirmier bascule en mars 1998 lorsque le camp de son unité, la brigade mobile n° 3, situé dans la province du Caqueta, est encerclé par les insurgés. Les combats durent vingt-quatre heures. Puis à court de munitions, 42 soldats rescapés rendent les armes. Ils laissent derrière eux les cadavres de 65 camarades. Le caporal venait d'obtenir une permission. Il entre en fait dans l'univers carcéral pour dix ans. Presque un tiers de sa vie passé dans une jungle oppressante où la frondaison des arbres barre la vue du ciel. Comme la plupart des prisonniers en uniforme, William Perez correspond par lettres avec sa famille. Il envoie des poèmes et des dessins, demande qu'on utilise sa solde pour éduquer ses petits neveux. Il écoute les radios qui diffusent les messages de ses proches comme on jette une bouteille à la mer. Un changement de fréquence le coupe de ce lien à la fin de l'année dernière. En mai, son père meurt sans avoir pu lui envoyer un dernier signe. C'est au tour d'Ingrid Betancourt de le consoler. «Ta famille t'attend. Eux aussi veulent pouvoir t'embrasser», glisse-t-elle. Dans son goulag tropical, le caporal soigne aussi bien ses camarades que les guérilleros blessés en opération. Il n'est pas docteur mais met ses connaissances médicales au service des malades. Il obtient des médicaments pour des patients mal vus des geôliers grâce à des subterfuges. Il gère avec les moyens du bord des infarctus, la leishmaniose, le paludisme. Le soignant est empêché par Martin Sombra, un redoutable cerbère, d'aider à l'accouchement d'Emmanuel, l'enfant né d'une liaison entre un combattant et Clara Rojas, la conseillère d'Ingrid Betancourt. Il assiste impuissant à la mort d'un capitaine victime d'une crise d'épilepsie. À la différence de ses camarades, William Perez ne cherche jamais à fuir. Sa mission le préserve. Elle lui permet de dissimuler son drame individuel.
Dans la vidéo de l'opération Jaque montée par les services spéciaux colombiens, le caporal apparaît avec ses menottes en plastique. William Perez est à l'instar des autres otages réticent à l'idée de monter dans l'hélicoptère avec deux de ses geôliers pour rejoindre le camp d'Alfonso Cano, le nouveau chef des Farc. Il explose littéralement lorsqu'il comprend qu'il vient d'être libéré par un commando des services spéciaux. Il étreint Ingrid assise à ses côtés. Elle pleure de joie dans ses bras. «On a attendu dix ans. On a entendu dix ans l'armée colombienne», lance-t-il à la caméra des militaires. À Bogota, le grand-père de William Perez est mort d'un arrêt cardiaque juste après avoir appris la libération de son petit-fils. Accueilli en héros, le soldat a suivi des examens de santé dans l'hôpital où il a été formé avant de rentrer chez lui. Il vient d'être nommé sergent. Une promotion quasi automatique après dix années de service. À la télévision, il a promis d'aider les centaines de Colombiens toujours aux mains d'une guérilla d'un autre âge.
Les familles de ces prisonniers - des politiques, des militaires ou de simples civils capturés au détour d'une route pour alimenter les caisses des Farc - sont inquiètes. Elles craignent que les victimes sombrent à nouveau dans l'oubli d'où ils sont sortis grâce à la mobilisation internationale en faveur d'Ingrid Betancourt. Une grande marche en leur faveur est prévue le 20 juillet à Bogota.
Par Christofor
Dans son goulag tropical, le caporal, infirmier de formation, ici en novembre 2007, soignait aussi bien ses camarades que les guérilleros blessés en opération. Crédits photo : AFP Il fut l'ange gardien d'Ingrid Betancourt. «Je suis vivante grâce à lui», assure la Franco-Colombienne qui l'appelle «mon frère, l'homme qui m'a sauvé». «Il m'a donné à manger cuillère par cuillère et m'a redonné envie de vivre», ajoute la camarade de détention du caporal William Perez, 33 ans. Infirmier de formation, le sous-officier a soigné avec des antidépresseurs et surtout par son soutien moral la profonde maladie de l'âme dont souffrait l'an dernier la captive.
En ce mois d'octobre, Ingrid Betancourt n'en peut plus de porter vingt-quatre heures sur vingt-quatre une chaîne autour du cou. Elle ne comprend pas pourquoi on l'attache chaque jour à un arbre. Déprimée, elle décide de renoncer à vivre. Son refus de s'alimenter provoque un ulcère et des infections intestinales. Peu à peu, elle se déshydrate. Son état de santé est lamentable. Ses geôliers s'en moquent. Ils attendent sa mort pour - préviennent-ils - creuser un trou dans la terre et l'enterrer.
«Elle disait vouloir mourir. Elle refusait ce que les Farc avaient fait d'elle», se rappelle l'infirmier. Il lui répond qu'elle «doit rester forte». William Perez entreprend de la nourrir bouchée par bouchée. Il l'assiste avec tendresse et patience. Il l'alimente comme on donne la becquée à une petite fille rétive ou malade en la brusquant un peu quand il faut. Une cuillerée est pour sa fille, Mélanie ; une cuillerée pour son fils, Lorenzo ; une cuillerée pour sa mère, Yolanda. Le soldat lui parle sans relâche de ses enfants et de sa mère pour la raccrocher à l'existence. Il lui demande de continuer à vivre pour ceux qui l'aiment. Il lui donne du courage. Et ça marche. Elle reprend du poids en quelques semaines, recommence à se tenir debout sans tomber pour aller aux toilettes ou pour se laver.
C'était deux mois avant la diffusion du fameux cliché de cette prisonnière chétive au regard vide devenue à travers le monde le symbole de la captivité. «Tout le monde a été scandalisé par la photo, mais à ce moment-là elle allait déjà beaucoup mieux», affirme aujourd'hui William Perez. «Sa force était la mienne et la sienne était la mienne», commente le protecteur au sourire modeste devant la presse le lendemain de sa libération. «J'étais devenu un peu son psy. Là-bas, personne ne vaut rien, même pas Ingrid», résume-t-il.
Rien ne prédisposait à une amitié entre le petit caporal engagé dans l'armée pour aider sa famille et la jeune femme frondeuse issue de la grande bourgeoisie de la capitale. À part peut-être la religion.
Pentecôtiste, William Perez organise en détention un groupe de prière, de chant de cantiques et de lecture de la Bible. Il prie dans un pays où la Vierge est adorée avec la même ferveur par les prêtres et les tueurs à gages, par les narcos et les flics, et par Ingrid Betancourt, une croyante réfugiée dans la grâce de Dieu depuis sa descente en enfer.
Pour le reste, les deux séquestrés ont peu de points en commun. Au début de leur présence dans le même camp, voici quatre ans, leurs relations sont à peine cordiales. L'an dernier, une réorganisation du bagne les rapproche. Les Farc décident de mélanger civils et militaires. Devenus voisins, ils écoutent la radio, commentent l'actualité. C'est l'époque où est évoquée l'hypothèse d'un «échange humanitaire». Betancourt, la politique, est convaincue qu'une négociation entre l'État et la guérilla est nécessaire pour sortir la Colombie de l'impasse et recouvrer la liberté. Perez, le soldat, est persuadé qu'il faut abattre le pouvoir militaire des Farc pour obliger les «barbudos» à négocier. Elle est tombée dans le piège des Farc en prêchant la paix. Il a été capturé en participant à la guerre.
Le destin de l'infirmier bascule en mars 1998 lorsque le camp de son unité, la brigade mobile n° 3, situé dans la province du Caqueta, est encerclé par les insurgés. Les combats durent vingt-quatre heures. Puis à court de munitions, 42 soldats rescapés rendent les armes. Ils laissent derrière eux les cadavres de 65 camarades. Le caporal venait d'obtenir une permission. Il entre en fait dans l'univers carcéral pour dix ans. Presque un tiers de sa vie passé dans une jungle oppressante où la frondaison des arbres barre la vue du ciel. Comme la plupart des prisonniers en uniforme, William Perez correspond par lettres avec sa famille. Il envoie des poèmes et des dessins, demande qu'on utilise sa solde pour éduquer ses petits neveux. Il écoute les radios qui diffusent les messages de ses proches comme on jette une bouteille à la mer. Un changement de fréquence le coupe de ce lien à la fin de l'année dernière. En mai, son père meurt sans avoir pu lui envoyer un dernier signe. C'est au tour d'Ingrid Betancourt de le consoler. «Ta famille t'attend. Eux aussi veulent pouvoir t'embrasser», glisse-t-elle. Dans son goulag tropical, le caporal soigne aussi bien ses camarades que les guérilleros blessés en opération. Il n'est pas docteur mais met ses connaissances médicales au service des malades. Il obtient des médicaments pour des patients mal vus des geôliers grâce à des subterfuges. Il gère avec les moyens du bord des infarctus, la leishmaniose, le paludisme. Le soignant est empêché par Martin Sombra, un redoutable cerbère, d'aider à l'accouchement d'Emmanuel, l'enfant né d'une liaison entre un combattant et Clara Rojas, la conseillère d'Ingrid Betancourt. Il assiste impuissant à la mort d'un capitaine victime d'une crise d'épilepsie. À la différence de ses camarades, William Perez ne cherche jamais à fuir. Sa mission le préserve. Elle lui permet de dissimuler son drame individuel.
Dans la vidéo de l'opération Jaque montée par les services spéciaux colombiens, le caporal apparaît avec ses menottes en plastique. William Perez est à l'instar des autres otages réticent à l'idée de monter dans l'hélicoptère avec deux de ses geôliers pour rejoindre le camp d'Alfonso Cano, le nouveau chef des Farc. Il explose littéralement lorsqu'il comprend qu'il vient d'être libéré par un commando des services spéciaux. Il étreint Ingrid assise à ses côtés. Elle pleure de joie dans ses bras. «On a attendu dix ans. On a entendu dix ans l'armée colombienne», lance-t-il à la caméra des militaires. À Bogota, le grand-père de William Perez est mort d'un arrêt cardiaque juste après avoir appris la libération de son petit-fils. Accueilli en héros, le soldat a suivi des examens de santé dans l'hôpital où il a été formé avant de rentrer chez lui. Il vient d'être nommé sergent. Une promotion quasi automatique après dix années de service. À la télévision, il a promis d'aider les centaines de Colombiens toujours aux mains d'une guérilla d'un autre âge.
Les familles de ces prisonniers - des politiques, des militaires ou de simples civils capturés au détour d'une route pour alimenter les caisses des Farc - sont inquiètes. Elles craignent que les victimes sombrent à nouveau dans l'oubli d'où ils sont sortis grâce à la mobilisation internationale en faveur d'Ingrid Betancourt. Une grande marche en leur faveur est prévue le 20 juillet à Bogota.
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